Rapport Afrique 2009
JANVIER - MARS, 2009
Ecoute, sinon ta langue te rendra sourd.
Proverbe amérindien
Le premier devoir de l’amour c’est d’écouter
Paul Tillich
Le départ vers le Rwanda cette année s’est fait avec des finances fort diminuées. En fait, comme nous n’avions pas les fonds requis pour nous permettre de regrouper des classes d’aumôniers pour la formation en justice réparatrice, nous avons même pensé annuler le voyage. Toutefois, l’ardent désir de nous retrouver avec nos frères et sœurs l’emporta et nous voilà en route – Pierre, Jeff et moi-même pour le premier mois avant qu’Eileen se joigne ensuite à nous.
La conviction grandit en nous que le Seigneur nous révélerait au jour le jour ce qu’Il avait en tête pour cette mission. Cheminer au bord du précipice n’est pas toujours confortable mais c’est certes aventureux! Dès notre arrivée, les aumôniers, de bons amis des années passées, et les jeunes qui grandissent sous nos yeux et qui cherchent leur chemin dans la vie, une façon d’échapper à leur pauvreté et incertitude ne tardent pas à trouver le chemin de notre appartement. Nous sommes au point de départ frappés à quel point plusieurs n’ont pas l’air bien : problèmes de santé, problèmes émotionnels, fatigue extrême, dépression et malnutrition. Les effets dévastateurs de la guerre au Nord Kivu, RD Congo, sont évidents. Les efforts exténuants de développement au Rwanda et au Burundi laissent plusieurs avec les nerfs à fleur de peau. La situation à la fois s’améliore et se détériore.
Ainsi devant nos yeux – elles ont passé tout près de notre maison – paradent les troupes de l’armée rwandaise traversant la frontière pour rentrer chez eux. Rwandan troops, click to view larger imageIl y a jubilation dans l’air. Par contre, dans les prochaines 48 heures, la rumeur circule que les rebelles se sont emparés de plusieurs petits villages dans la région. Des dizaines de milliers de personnes, en majorité femmes et enfants, se retrouvent, suite à ces actions, dans des camps de réfugiés pour personnes déracinées. Maisisi, IDP Camp, click to view larger imageLa prison de Goma a fait l’objet d’émeutes sérieuses, de feu et de destruction du dispensaire auquel nous avions contribué l’an dernier. Les sérieusement malades n’ont aucun endroit ou aller. Plusieurs prisonniers dans toute la région des grands lacs souffrent de tuberculose et du sida. Les ex-militaires constituent la moitié des prisonniers à la prison de Goma. A Gisenyi, les génocidaires constituent toujours la grande majorité et les jeunes femmes continuent à écoper d’une peine à vie pour avoir avorter ou coopérer à un avortement. Alors que très peu d’hommes adultes sont arrêtés pour viol, en contraste il y a plusieurs juvéniles, certains âgés de seulement 13 ans. Au Bugesera ou nous sommes impliqués dans un projet domiciliaire, on estime que 90% des femmes et jeunes filles sont victimes d’assauts sexuels. Plusieurs des femmes vivent des problèmes de santé remontant aux assauts sexuels d’il y a quinze ans. Trouver l’argent nécessaire pour envoyer les enfants de sa famille à l’école demeure un défi constant. Les frais de scolarité peuvent varier mais l’uniforme scolaire et le matériel scolaire sont toujours requis. De plus, la langue officielle du Rwanda vient de changer du français à l’anglais créant un nouveau défi pour les professeurs et étudiants qui cherchent les moyens pour apprendre l’anglais.
C’est dans ce contexte périlleux que nos aumôniers travaillent. Bien qu’ils ne reçoivent ni salaire ni allocation de transport, ils se rendent à la prison aussi souvent qu’ils le peuvent. Parfois, ils doivent même payer un pot-de-vin aux gardiens pour pouvoir entrer. (Dans certaines prisons, cette pratique devient courante étant donné que les gardiens n’ont pas été payés depuis longtemps.) Les aumôniers y vont sachant très bien qu’ils n’ont rien à donner aux prisonniers qui les supplieront pour de la nourriture et des médicaments. Ils y vont conscients que plusieurs des prisonniers n’ont pas été officiellement jugés et qu’ils peuvent attendre des années pour voir un avocat ou avoir un procès. Ils y vont parce qu’ils savent que Dieu aime chacun de ces femmes et de ces hommes, tous ces jeunes gens, autant qu’Il les aime eux-mêmes, ou vous, ou moi. Ils y vont parce que Jésus a dit qu’Il y était et que nous le visitions.
Alors, qu’avons-nous fait? Nous avons décidé de nous concentrer sur l’hospitalité et l’écoute. PLUSIEURS sont restés à coucher, venus pour un repas, pour écouter de la musique et partager. Les histoires, autant que les pleurs, jaillissent. Nous jouons aux ‘petits cochons’ et au ‘8 fou’ et au soccer. Nous rions et chantons ensemble, mangeons et prions, et pleurons à nouveau.
Cette année, nous nous servons de deux nouveaux modules : Visioning dans une perspective de justice réparatrice et Cultiver la paix : Un protocole pour rencontres victimes-offenseurs dans une perspective de justice réparatrice. Nous offrons le module Visionnement à deux reprises : 4 jours avec les leaders de la FEP (Fraternité Évangélique des Prisons), et ensuite avec 13 aumôniers venus de Goma pourClick to view larger image demeurer quatre jours avec nous. Les participants examinent leur passé et leur présent de façon très intentionnelle et formulent des plans pour leur futur tant au niveau personnel que professionnel. Ils se fixent des objectifs à long et court terme et, avec beaucoup d’enthousiasme, se mettent immédiatement à travailler sur les objectifs à court terme. Deux petits bureaux sont organisés, on met sur pied une stratégie pour recueillir l’information et pour s’assurer d’un support mutuel sur le plan physique et spirituel, et on discute de long en large des stratégies nécessaires pour organiser et stabiliser l’aumônerie des prisons. Les deux sessions sont merveilleuses alors que les participants parlent 80% du temps et que l’équipe écoute et apprend.
Le module Protocole Victime-Offenseur est d’abord offert à 8 aumôniers pour les former dans la médiation entre génocidaires et survivants du génocide. Mme Beatrice Karengera, une conseillère en traumatisme travaillant pour le groupe de Kigali ‘Parle, j’écoute’ (Mbwirandumva) donne une session d’une journée. Elle partage son travail avec les femmes victimes, parle de leurs cicatrices dans leurs vies et de leurs efforts merveilleux pour s’en sortir. Cette session de formation fait partie du projet Gisenyi 400 dans lequel 400 prisonniers, suite à notre visite de l’an dernier, ont écrit une lettre de demande de pardon à leurs victimes. Les aumôniers s’étaient engagés à rendre possible la livraison de ces lettres mais se sont sentis dépourvus n’ayant ni la formation, ni le support matériel et financier nécessaires. La décision est prise de rencontrer ces 400 prisonniers à l’intérieur de la Prison Centrale Gisenyi et d’étudier avec eux le Protocole pour qu’ils sachent exactement ce qu’exige un tel processus. Rilima Prisoners at work, click to view larger imageChaque session de groupes comporte ses défis particuliers et ses joyeuses découvertes. A chacune des sessions, les offenseurs prennent conscience de la difficulté de s’embarquer sur un tel sentier mais réalisent aussi que leur futur dépend de leur prise de responsabilités et de leur demande de pardon à leurs victimes. Comment arriver autrement à réintégrer son village et sa famille?
Quel immense privilège de pouvoir organiser à l’intérieur de la prison quatre rencontres entre victimes et offenseurs. Ceci implique des rencontres préalables avec les victimes dans leur village, demander si elles désirent venir à Gisenyi, les accueillir à notre maison pour les préparer à la rencontre dans la prison et, enfin, les accompagner lors de la rencontre actuelle. Deux de ces rencontres sont très émouvantes et se terminent par une accolade entre la victime et l’offenseur. Les deux autres sont plus difficiles et exigeront du travail supplémentaire alors que les cœurs changent lentement. On ne doit jamais mettre de pression sur la victime pour ce qui a trait à l’acceptation de la lettre, au pardon de l’offenseur ou à l’acquiescement à une rencontre éventuelle. Parfois, le geste positif vient de l’offenseur mais sans susciter de réponse positive chez la victime. L’aumônier se doit d’aider l’offenseur à comprendre et à accepter cette situation. En d’autres occasions, les sentiers ont déjà été battus. Un des aumôniers part pour rencontrer une victime dans un village éloigné. Il ne connaît pas la victime et arrivé à une fourche dans le village il s’informe auprès d’une passante. Elle lui dit être la personne qu’il cherche et qu’elle vient tout juste d’aller prier à l’église pour la personne qui a tué plusieurs membres de sa famille. Bien sûr qu’elle est d’accord d’accepter la lettre de demande de pardon et de parler avec l’aumônier!
Il faut à tout prix aider les aumôniers à pouvoir continuer ce processus de guérison dans cette partie du Rwanda. Le bien-être futur du pays en dépend. Quinze ans après le génocide la poussière a eu le temps de retomber mais souvent les blessures sont aussi fraîches que si elles étaient d’hier. Il reste toujours 396 lettres à livrer sans compter les nouvelles lettres qui s’ajoutent devant les bénéfices de guérison tangibles. Tout ce processus se doit de continuer sans perdre le rythme acquis.
Le second projet qui attire beaucoup notre attention est le Collectif Twungubumwe Bugesera. Depuis quelques années déjà, sous la direction d’une victime du génocide, Pascal Niyomugabo, des ex-prisonniers aident les veuves et les survivants à bâtir un village, maison par maison en briques faites à la main, et à établir des projets d’agriculture durable tels aviculture, jardinage et élevage de bétail. Nos aumôniers appuient beaucoup ce projet qui témoigne du dynamisme spirituel profond au cœur de l’esprit humain. Si vous pouviez observer ces gens en action, vous repartiriez en vous secouant la tête remplie d’émerveillement! Cette année, grâce à un don de Jean Coutu, nous avons eu le privilège de fournir la tôle et le matérielBugersera building project, click to view larger image nécessaire pour compléter 17 maisons. Dix-sept familles de plus ont maintenant leur chez-soi! Leur reconnaissance est sans bornes. Nous manquons de fonds pour fournir le ciment nécessaire à l’installation de portes et fenêtres ($25USD par maison), mais bientôt, qui sait…
Grâce à vos dons et à votre support, nous pouvons distribuer des couvertures, du linge d’enfants et des bananes aux femmes et aux enfants de la Prison Centrale Gisenyi. Nous pouvons apporter à l’hôpital un repas substantiel le jeudi pour les prisonniers souffrant de la tuberculose et du sida. Nous pouvons donner au-delà de 200 T-shirts aux juvéniles de la prison, des ballons de soccer et des sous-vêtements pour les jeunes filles. Nous fournissons du matériel didactique pour les enfants et les programmes d’alphabétisation à plusieurs endroits ainsi que de petits savons, brosses à dents, pansements , médicaments contre la douleur et vitamines. Nous distribuons des centaines de calepins et stylos aux prisonniers, aux membres de l’administration et de la Gacaca. Aux aumôniers, nous faisons don de vêtements et de sacs de riz et de fèves. Nous achetons des machines à coudre pour deux projets victimes-offenseurs. Nous avons laissé nos livres sur la justice réparatrice et autres questions de justice à plusieurs endroits notamment à la faculté de théologie de l’université à Butaré. Nous donnons une conférence à l’université libre de Kigali et donnons une entrevue à la radio à Goma. Lors de notre départ, nous laissons pour le bénéfice des deux tout nouveaux bureaux à Gisenyi et Goma notre matériel didactique et de bureau ainsi que les matelas, draps et serviettes. Tout cela grâce à votre générosité et engagement.
Et maintenant, nous attendons quatre étudiants internationaux pour les sessions intensives en justice réparatrice au collège théologique de l’université Queen’s en Ontario, Canada en mai. Encore dû à votre générosité!!! C’est un privilège d’être vos mains et vos pieds dans ce travail!
L’expérience de cette année nous aide à nous concentrer sur ce que nous croyons vraiment être les forces et le charisme spécifique de Juste.Équipage.
La durabilité est essentielle. Nous ne devons pas commencer des projets que nous seuls sommes à même de continuer. Nous n’avons pas les moyens non plus d’envoyer tout autour du monde des équipes de formation. En conséquence, nous avons décidé pour le moment de concentrer nos efforts et ressources auprès des aumôniers locaux dans la région des Grands Lacs en Afrique. Nous serons toujours heureux de rendre service aux administrateurs et aux membres du gouvernement qui en font la demande, et nous continuerons à visiter les prisonniers et les victimes et à leur apporter le support matériel que nous pourrons, mais notre priorité sera les personnes impliquées dans l’aumônerie et les questions de justice. Ce sont ces gens qui, une fois outillés, forts, sains et bien organisés, pourront poursuivre ce travail important. Ils y sont pour la durée de la randonnée. Ils connaissent le contexte culturel dans lequel ils oeuvrent. Ils ont tout à gagner à travailler à établir un futur fort et juste pour leur pays et leurs familles. Ils sont les guérisseurs-blessés.