Rapport sur la Mission # 8
Région des Grans Lacs D’Afrique
Octobre-décembre 2012, Janvier-avril 2013
Redonnez de l’espoir à mon peuple. Oui, redonnezlui de l’espoir, dit votre Dieu.
Esaîe 40:1
Si je devais me limiter à deux mots pour décrire la Mission 8, ce serait ‘Boulot difficile’ et ‘Emballement’.
Bonne nouvelle! Nous en sommes maintenant à la phase des ‘rencontres’ dans Le Projet des lettres. Toutes les lettres écrites par les prisonniers à leurs victimes ont été livrées – les 430! Cette livraison s’est étendue sur quelques années parce qu’il était souvent très difficile de retrouver, tant d’années après le génocide de 1994, les victimes, et aussi parce que chaque visite était dispendieuse. Nous devons une grande dette de reconnaissance à l’équipe ‘Kili’ qui nous a permis de terminer la livraison des lettres. La bannière de Juste.Équipage atteignit le sommet du Mont Killimanjaro grâce à une équipe de Canadiens sous la direction de Donna Morrin et Monty Bourke. Les fonds levés le furent au profit de Juste.Équipage. Ayant terminé la livraison des lettres, nous pouvons maintenant nous occuper des 150 victimes et survivants qui ont demandé de rencontrer leur offenseur dans la prison. Regardons ensemble une semaine typique de ce Projet des lettres:
Les aumôniers Lazare, Fine, Canisius, et parfois aussi Kizungu de Kigali et Nelson de Gitarama, contactent 2 ou 3 victimes pour leur demander si elles aimeraient venir rencontrer leur offenseur. Les arrangements sont faits pour qu’elles puissent arriver au Petit Sanctuaire Gisenyi le lundi afin de pouvoir partager ensemble le repas du soir. Nous les invitons à partager non seulement le repas mais aussi leur histoire et leurs attentes. Nous prions ensemble. Le lendemain matin, un des aumôniers se rend tôt à la prison pour appeler les prisonniers et pour s’assurer que le local pour la rencontre est toujours disponible. Un ou deux autres aumôniers prennent alors l’autobus ou la moto et ils arrivent avec les victimes à la prison. Après avoir passé par les étapes nécessaires de sécurité, elles s’assoient autour de la table avec les aumôniers et attendent l’arrivée de l’offenseur. Celui-ci arrive souvent apeuré et courbé. Quelques-uns ont même fait leur entrée à genoux et ont dû être encouragés à prendre place autour de la table. Il y a de la tension dans l’air. Après avoir examiné la lettre de demande de pardon écrite par l’offenseur, celui-ci s’adresse à la victime. La victime peut ensuite demander ses questions demeurées sans réponse depuis tant d’années. Comment ma famille a-telle été tuée? Comment avez-vous tué mes enfants? Où se trouve le corps de mon mari? Est-ce qu’ils-elles ont beaucoup souffert? Pourquoi avez-vous agi ainsi? Aussi impossible que cela puisse paraître, malgré les moments très difficiles, ces échanges sont souvent imprégnés de grâce. Dans la plupart des cas, la victime s’avance vers l’offenseur pour offrir le pardon, une accolade, un souhait pour un meilleur futur, un peu d’argent pour aider avec la nourriture en prison. Lorsque la victime n’est pas satisfaite du déroulement ou l’offenseur manque d’honnêteté ou de transparence, le processus prend fin et l’équipe des aumôniers planifie un suivi approprié.
Les victimes qui sont venues de loin retournent alors au Petit Sanctuaire pour une autre nuit de repos et l’occasion autour d’un repas de discuter de la rencontre avec l’équipe des aumôniers. Au moment du départ, elles demandent presque sans exception quand elles pourront revenir! Elles ont tellement besoin de fraternité dans leur détresse. Après le départ des victimes, les aumôniers rendent visite aux offenseurs pour une session d’évaluation. Ensuite, ils recommencent tout le processus de préparation pour le groupe de la semaine suivante. Ce travail est très épuisant et souvent laisse à vide les aumôniers sur le plan physique, émotionnel et spirituel. Après plusieurs années, je suis convaincue qu’ils ont besoin d’attention spéciale et de renouvellement eux-mêmes. Il y a aussi certaines victimes qui sont très fragiles et qui exigent qu’un contact étroit soit maintenu avec elles. Depuis plus de 19 ans, plusieurs des victimes attendaient cette occasion de s’engager dans cette étape de guérison. C’est merveilleux ce qui se passe. Nous ne pouvons pas l’expliquer. Dieu seul le peut.
Laissez-moi vous parler d’Emmanuel. C’est un berger. Il était tout jeune lorsqu’il se cacha sous sa mère, avec des milliers d’autres personnes dans une église en avril 1994. On lança des grenades dans l’église, et ceux qui ne furent pas tués se précipitèrent à l’extérieur pour être massacrés en essayant de s’enfuir. Ensuite, après quelques heures, des hommes sont venus dans l’église pour achever à la machette les survivants. Emmanuel a reçu un coup de machette à la tête et saigna pendant un jour ou deux. Ici, sa mémoire lui fait défaut. Miraculeusement, il ne mourra pas, le sang coagula et quelques sympathisants l’aidèrent à passer à la frontière du Congo où il se cacha. Quand il put finalement retourner dans son territoire, il était aveugle d’un oeil et souffrait de dommage au cerveau. Chapeau à la tête, il commença à garder les troupeaux. Plusieurs années plus tard, les aumôniers le trouvèrent dans les champs et lui lurent sa ‘lettre’. Lorsqu’il est descendu de la montagne pour venir à notre maison, il en était à sa première visite à Gisenyi – une toute nouvelle expérience. Au cours du repas du soir, il enleva son chapeau et me demanda de toucher la déformation de sa nuque. Après coup, il remit son chapeau – toujours craintif que quelqu’un puisse le frapper à la tête! Nous nous demandions comment la rencontre à la prison se déroulerait. L’offenseur lui demanda pardon. Emmanuel posa ses questions et offrit le pardon et alla ensuite prendre le lunch avec les aumôniers. Quand ils lui demandèrent ce qu’il pensait de toute cette expérience, il répondit qu’il se sentait bien et que la seule chose à faire était de pardonner. Mais il tenait à rentrer immédiatement dans son village parce qu’il ne pouvait supporter l’idée de passer une autre nuit à l’intérieur d’une chambre fermée dans une maison dans la ville! Il voulait se retrouver dans ses champs et contempler les étoiles au-dessus de sa tête!
Toute l’équipe de Juste.Équipage et les aumôniers du Projet des lettres désirent ardemment trouver les fonds nécessaires pour compléter ce ministère privilégié des rencontres victimes-offenseurs.
Il faudrait tout un livre pour décrire adéquatement les activités du Petit Sanctuaire Goma en République démocratique du Congo. Le sanctuaire bourdonne d’activités malgré les escarmouches incessantes entre les divers groupes de rebelles et les forces gouvernementales. Problèmes d’assainissement de l’eau, d’irrigation, de nourriture, de pannes d’électricité, de routes endommagées rendant la circulation difficile, de frais scolaires et médicaux hors-portée de la majorité, et une impression généralisée de découragement face au danger constituent le fléau de cette ville. Pour une femme, c’est sans doute l’endroit le plus dangereux de notre planète. Les enfants, déjà désavantagés, sont souvent entraînés vers la violence, et plusieurs hommes sont déprimés, en colère, et leur santé est à risque. Est-ce que Dieu peut faire des merveilles à Goma? Absolument!
Siméon dirige une équipe d’environ 15 aumôniers. La Prison centrale, après avoir été fermée et pillée, fonctionne à nouveau. Juste.Équipage, grâce à votre aide, a permis aux aumôniers d’apporter à la prison des T-shirts et autres vêtements pour hommes et femmes, de belles trousses pour bébés, des sous-vêtements tant attendus, des couvertures, des bibles, sacs de farine, riz, fèves, sucre, sel, savon et médicaments – tout cela grâce à votre support généreux. L’Aumônerie communautaire PJRIDI (Promotion de la justice réparatrice et des initiatives de développement intégral) travaille dans la communauté avant et après l’incarcération. Le Petit sanctuaire Goma vient tout juste d’être réhabilité : déblocage des latrines, construction d’un abri pour cuisiner et un réaménagement créatif des espaces pour accommoder les nouvelles facettes du ministère.
WoW! Women’s Wellness Centre (Centre de bien-être pour les femmes)
Attention – vous arrivez au Petit sanctuaire Goma soit après une randonnée en jeep qui vous a secoué les reins et vous a fait bondir à plusieurs reprises sur les routes de lave ou soit après une longue marche pénible dans la chaleur et la poussière, avec un bébé sur le dos et des colis sur la tête. Vous entendez des chants et des voix avant d’atteindre la porte d’entrée. Un groupe de femmes près de la porte, sous un canapé, suit un cours d’alphabétisation. Dans le meilleur des mondes, chacune à un ‘Bic’ et du papier. Autrement, on se doit de partager. Quelques mètres plus loin, sur la véranda et dans la première salle, des femmes et des jeunes filles travaillent à des machines à coudre à pédale ou s’affairent à une table à tailler et à repasser. Elles apprennent à coudre et rêvent d’un marché où vendre leurs sacs. En-haut, il y a une garderie pour les enfants qui accompagnent leurs mères au Petit sanctuaire. Essayez d’imaginer 25 enfants et nourrissons dans une salle avec balcon avec une seule ‘ maman’ et de l’aide sporadique – sous la chaleur africaine et avec le minimum de matériel pédagogique ou de collations! Vous comprendrez alors quand je dis que ces gardiennes d’enfants méritent d’être ‘béatifiées’! Près de la salle des enfants, nous avons dû ouvrir un dispensaire. Deux médecins et deux infirmiers sont venus offrir leurs services au Petit sanctuaire et, après beaucoup d’hésitation, nous avons commencé à donner des soins de santé de base et à faire de l’éducation en santé publique. Vers 13.00hrs, toutes les activités cessent pour enfin partager un simple plat de ‘bouillie’.
Les principes de la Justice réparatrice – L’Écoute, la Vérité et la Réparation avec les Victimes, Offenseurs et la Communauté dans un esprit de respect, de dignité et de prière pour tous – imprègnent et constituent le fondement de notre travail dans la région des grands lacs. De fait, cette année, la ‘Réparation’ est au coeur de nos préoccupations. Nous avons pu faire, dans un geste symbolique et selon les fonds disponibles, de simples ‘réparations’ à quelques maisons d’aumôniers et de victimes. En octobre prochain, nous espérons pouvoir mettre du ciment sur le plancher de terre dans la maison de A., un ex-prisonnier génocidaire qui prend maintenant soin d’une de ses victimes.
L’histoire des villages de réconciliation (où les génocidaires et les survivants vivent et travaillent ensemble) et vos dons pour l’achat de vaches, chèvres et poules exigeraient une autre lettre de nouvelles. Il en serait ainsi pour le travail de Pascal et Déo avec les enfants des victimes et des offenseurs; le travail sur la résilience et le traumatisme; le ministère de Jean Bosco, ‘Barnabas Afrique’ dans les prisons du Burundi; et les initiatives avec les femmes, les enfants et les hommes dans plusieurs prisons du Rwanda avec ICOPUR (Initiative communautaire pour l’unité et la réconciliation’). Au milieu de toutes ces activités, l’hospitalité, la coopération et l’enseignement demeurent les piliers de notre appel.
Notre année fut ponctuée d’événements particulièrement heureux. Madelaine, une Canadienne, mena à bien la campagne ‘Bâtir une maison pour Fine’ et permit ainsi la réhabilitation complète d’une maison abandonnée en faveur de notre aumônière Fine de Gisenyi.
Luc et Lillian ramassèrent suffisamment de fonds pour installer l’eau courante dans un des villages de réconciliation où au préalable les femmes devaient marcher environ 16 kms pour procurer à leur famille de l’eau de qualité douteuse. Lors de ces deux occasions, j’aurais tant voulu que vous puissiez être témoins des chants, des danses et des prières d’action de grâces que ces deux projets firent surgir. Et pendant que je mentionne ces deux événements, plusieurs autres me viennent à l’esprit. Nous avons été tellement aidés par plusieurs d’entre vous. Je vous prie de réaliser à quel point votre aide est essentielle pour continuer notre travail. C’est un boulot difficile. C’est emballant. Merci!
Judy Allard
Au nom de l’équipe Juste.Équipage
Photos : Lazare, Lillian et Luc, JC